blue vessel
2025
exposition personnelle / solo show
Caravansérail, Rimouski (QC)
« L’eau contient la mémoire autant qu’elle l’efface [1]. » Berceau de la vie qui emplit les océans, transporte les nutriments et minéraux dans nos corps, irrigue les nappes souterraines et donne forme aux nuages, l’eau imprègne les œuvres qui composent cette exposition. Charline Dally mène, à travers elles, une exploration poétique sur le pouvoir de guérison de l’eau, qu’elle imagine comme un espace de porosité où les traces sensibles du monde viennent s'entremêler dans un grand rêve océanique.
En géologie, la cicatrisation des pierres est accélérée par l’infiltration de l’eau au creux de leurs fissures, qui y dépose une part des minéraux qu’elle transporte, venant alors progressivement résorber les brèches. Il en va de même des blessures humaines, que les événements traumatiques déchirent en nous et que l’eau a le potentiel d’apaiser. En entrant dans l’exposition, nous rencontrons des fragments de la vie intime de l’artiste, renvoyant à certaines agressions et abus de pouvoir qu’elle a vécu. Les morceaux d’un CD brisé jonchant le sol porte la trace de la colère ressentie après avoir été touchée contre son gré par l’homme qui lui avait offert. Non loin, une photographie exposée au mur donne à voir la porte d’un salon de massage où l’artiste travailla durant une période marquée par les regards objectifiant des hommes qui se posaient sur elle.
La suite de l’exposition se déploie derrière un voile bleuté, qui marque le passage vers un espace rituel onirique invitant à l’introspection, à l’écoute sensible de souvenirs enfouis, de notre inconscient et des traces fossilisées qui s’y dissimulent. Les vagues et les tempêtes parcourant les œuvres se mutent parfois en une marée de pixels hypnotiques. Elles nous guident à travers différents témoignages et mémoires oubliées, évoquées par les voix et les images qui se succèdent et se fondent fréquemment les unes dans les autres.
La puissance radicale de la douceur, comme outil de réparation et d’apaisement, s’y manifeste sous plusieurs formes : un fleuve sinueux, la joue d’une grand-mère, des visions scintillantes, un corps aquatique mou, de légers tissus satinés, un désert enneigé, des coussins bleus, ou encore la série de formes ovoïdes en verre qui jalonnent l’exposition. Ces dernières sont, pour l’artiste, une manière de représenter la mémoire d’une blessure qu’il faut chercher à reconnaître, en prenant le temps de la ressentir pleinement et de la porter à la lumière.
La lumière perce des trouées dans la mémoire, de la même façon qu’elle fissure la glace à la surface de l’eau, une fois le printemps venu. Elle permet d’exposer les souvenirs intimes autrefois associés à la honte et à la culpabilité, de les dissoudre, et de les catalyser en une force insoupçonnée. L’exposition blue vessel, prend la forme d’un vaisseau qui nous englobe et qui, pourtant, permet de plonger à l’intérieur de nous-même, facilitant ainsi une transformation profonde par-delà notre corps.
« Les limites de ma peau sont floues. Parfois, je ne sais plus qui je suis, ni mesurer et totaliser les particules qui me constituent. [...] J’ai pris conscience de ma propre nature, vague et brumeuse, pleine de sédiments, pleine de doutes, pleine de miroirs de faille ouverts par l’érosion et de courbes sinueuses à dessiner sur les murs [2]. »
Renaud Gadoury
[1] Astrida Neimanis, « Water: a Queer Archive of Feeling », Tidalectics. Imagining an oceanic worldview through art and science, Cambridge, MIT Press, 2018
[2] Virginia Woolf, Les Vagues, Gallimard, 1931
CRÉDITS
performance dans blue vessel et dickinsonia :
Nien Tzu Weng, Miri Chekhanovich, Florencia Sosa Rey, Elisabeth Tremblay
figuration : Erick Camargo
composition sonore : Roger Tellier-Craig, Julia Stern, Gabrielle HB
montage vidéo : Sarah-Anaïs Desbenoit
assistance à la réalisation: Kamielle Dalati-Vachon
caméra : Mark Morgenstern
montage d'exposition et assistance technique : Camille Desjardins, Jean-Marie Benoit
confection textile : Justine Cossette
verre : Zou Desbiens
éléments scénographiques : Coralie Gauthier, Maude Zerbé
documentation : Fanny Basque
soutien à la production : équipe de Caravansérail, Philippe Dumaine et Katherine Raymond
texte : Renaud Gadoury
la sinueuse et dickinsonia. les archives sensibles : co-réalisation avec Gabrielle HB
dickinsonia, production Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains.


















